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Armes françaises utilisées au Yémen : la justice administrative verrouille tout accès à l’information

Dans un jugement rendu le 19 juillet, le tribunal administratif de Montreuil s’oppose à ce que Disclose, Amnesty international France et le Centre pour les droits humains et constitutionnels accèdent aux documents douaniers liés aux livraisons d’armes françaises vers l’Arabie saoudite, l’Égypte et les Émirats arabes unis, soupçonnés de crimes contre l’humanité au Yémen. Les trois associations ont décidé de se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État.

Le tribunal administratif de Montreuil a rendu un jugement à la fois inédit et préoccupant. Le 19 juillet, il a rejeté en bloc une requête de Disclose, d’Amnesty international France et du Centre pour les droits humains et constitutionnels (ECCHR) demandant l’accès à des documents douaniers liés aux ventes d’armes de la France à l’Arabie Saoudite, l’Égypte et les Émirats arabes unis. Trois pays susceptibles d’avoir utilisé ces équipements pour commettre des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité au Yémen.

À la suite d’une longue procédure judiciaire initiée par nos associations il y a quatre ans, le tribunal a également refusé de transmettre au Conseil d’État une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) inédite. Cette QPC soumise par nos soins porte, justement, sur la conformité à la Constitution des textes instituant les multiples secrets invoqués par le ministre chargé des Comptes publics. Des secrets qui visent à empêcher, de manière systématique, l’accès à des informations d’intérêt général sur les ventes d’armes de la France.

Face à cette opacité organisée et contre laquelle le tribunal administratif n’a rien trouvé à redire, Disclose, Amnesty international France et l’ECCHR ont décidé de se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État.

Recours disproportionné au secret

Dans une motivation expéditive face à la gravité des enjeux, et sans même considérer la possibilité de communiquer les documents expurgés des informations sensibles ou de saisir la Commission du secret de la défense nationale, le juge invoque la nécessité de protéger toute une série de secrets : le secret défense, celui de la conduite de la politique extérieure de la France, celui des affaires et le secret professionnel dû par les agents douaniers. Il estime en effet que le maintien du secret est prévu par les exigences « constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation au nombre desquels figurent l’indépendance de la Nation et l’intégrité du territoire. » Dans le même temps, le tribunal reconnaît pourtant que les « associations participent au débat public en produisant des informations relatives aux atteintes aux droits humains, lesquelles peuvent résulter de l’utilisation d’armes de guerre ».

Photo prise aux abords de la ville portuaire d’Al-Hodeida, à l’ouest du Yémen. Crédit : Lorenzo Tugnoli.

De manière regrettable, la solution retenue marque, une fois de plus, les difficultés à obtenir des pouvoirs publics, comme du juge, la possibilité de vérifier que sont respectées par le gouvernement français les exigences issues du Traité sur le commerce des armes. Mais aussi, des instruments de droit européen qui prohibent l’exportation de matériels de guerre à destination de forces armées se livrant à de possibles crimes de guerre et à de possibles violations graves du droit international humanitaire.

Le silence opposé coûte que coûte par l’administration des douanes à nos demandes d’informations, additionné au refus de la justice administrative de questionner le recours disproportionné, et systématique, au secret vient nourrir l’opacité sur un enjeu démocratique majeur. Celui d’offrir la garantie que les transferts d’armes se font dans le respect du droit international, sans risque qu’ils puissent servir à commettre ou faciliter des violations graves des droits humains.

Compte tenu du risque sérieux que des armes françaises aient été, ou soient utilisées, pour commettre des violations graves du droit international humanitaire contre les populations civiles au Yémen, le manque de transparence est un obstacle majeur au contrôle à la fois parlementaire, judiciaire et démocratique sur les exportations d’armes françaises. Sans accès à une information précise et fiable, aucun contrôle sur le respect par la France de ses engagements internationaux en matière de droits humains et du droit international humanitaire n’est possible.

Chronologie d’un marathon judiciaire

Malgré les preuves accablantes des attaques contre les populations et infrastructures civiles commises, depuis 2015, par la coalition militaire menée par l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis au Yémen, la France continue de livrer à ces pays du matériel de guerre et à leur fournir de la maintenance et de la formation. Entre 2015 et 2022, la France a livré pour plus de 21 milliards d’euros l’Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis.

Notre marathon judiciaire pour accéder aux documents permettant d’étayer les transferts d’armes à destination de la coalition militaire engagée au Yémen a débuté il y a quatre ans. À l’époque, Amnesty international France, l’ECCHR et Disclose, qui a révélé l’utilisation d’armes françaises dans la guerre au Yémen, se réunissent pour réclamer aux douanes françaises la communication des documents liés à l’exportation, entre 2015 et 2020, de plusieurs équipements militaires made in France. Des avions A330 MRTT (Airbus) ayant pour destination l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis ; de pièces détachées pour des Mirage 2000-9 (Dassault) en vertu d’un contrat conclu avec les Émirats arabes unis ; de l’expédition de missiles Storm Shadow, également appelés « SCALP », produits par MBDA France et MBDA Royaume-Uni ayant pour destination finale l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Arabie Saoudite, ainsi que de kits de missiles AASM, fabriqués par la société Safran et destinés là encore à l’Égypte, aux Émirats arabes unis et l’Arabie Saoudite.

Après le refus de la direction des douanes ainsi qu’un avis défavorable de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), les trois organisations ont présenté une requête devant le tribunal administratif de Paris, en septembre 2021, ainsi qu’une question prioritaire de constitutionnalité en mai 2024. Toutes deux ont donc été rejetées en bloc par le tribunal administratif, ce 19 juillet 2024 (le jugement du tribunal administratif en intégralité).

Dans ce contexte, trois entreprises d’armement françaises — Thales, Dassault et MBDA — sont visées par une plainte déposée en 2022 pour complicité de crimes contre l’humanité et crimes de guerre.

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